Autrement dit: plus ils évoluent dans la laideur des paysages saccagés, plus ils sont tristes, déprimés et forcément finissent par devenir brutaux.
Les puristes de la réthorique ne retiendront que ce “ils”-valise — mais ceux là passeront à côté du sujet.
Si depuis 200 ans, la nature arraisonnée par l’homme raisonné a fini par ancrer l’humanité dans l’ère du laid.
Alors les impressionnistes nous avaient prévenus, dès le début: l’adoration perverse des machines conduira l’homme industriel à un massacre en règle de la Nature.
Et, à travers elle, le massacre de sa propre nature.
Ici Paris, Eté 2023.
Où est passée la Nature, ce grand spectacle jubilatoire et fantasmagorique qui a inspiré tant de chefs d’œuvre à l’humanité? Bang Bang. La raison, l’industrie et la modernité voulues par ces barbares encravatés ont eu sa peau !
Les impressionnistes sont surement les derniers à l’avoir capturé. Flashback.
XIXème siècle
Les usines poussent comme des champignons toxiques autour de la nouvelle ville-monde Paris. Et elles grignotent tout sur leur passage: la palette de couleurs, les animaux, les insectes, les oiseaux — les paysans mêmes !
Exit la diversité des cultures maraichères, exit aussi la diversité des faces, des corps et des métiers.
L’avènement des villes industrielles et celui de leur masse ouvrière s’est fait dans le triomphe d’une norme bicéphale: conformisme et laideur.
Dieu de l’art merci, les Zapatistes de la beauté se sont chargés de figer sur toile ces paysages qu’on ne saurait pouvoir exister autrement.
Argenteuil, Pontoise, Villeneuve-la-garenne.
Ces peintres de terrains, aka les impressionnistes, ont offert aux générations futures la possibilité de comparer l’avant et l’après. Et franchement, c’est laid.
Quand Monet, Manet, Renoir, Sisley, Pissarro ou Van Gogh peignent la triste mais inévitable disparition de la beauté champêtre de l’île-de-France, ils savent que ce qu’ils font est profondément politique.
N’en déplaise aux ayatollah de l’art apolitique — il n’y a rien de bucolique, de naïf et d’innocent dans les toiles urbaines des maîtres impressionnistes.
Les Bords d’Argenteuil, d’Épinay, de Gennevilliers, de Colombes.
Il faut voir à quoi ressemblent ces mêmes bords de seine en 2023.
Défigurés par le commerce, enlaidis de béton et d’âmes tristes car tristement exploitées.
Les ouvriers d’hier ne font plus battre les machines de ces usines désormais désaffectées — ils sont désormais les petits employés exploités par un système tertiaire qui ne leur donne ni de quoi vivre dignement, ni même un paysage où vivre dignement.
Ce paysage dit de banlieue offre des lignes géométriques à perte de vue. Des lignes droites et des cubes entassés sur d’autres ont rasé et la nature, et le charme et la transcendance inhérente à l’esprit apaisé de l’Homme qui peut alors s’élever.
Se pose alors la question: où en sommes-nous du progrès de l’humanité?
Les impressionnistes nous avaient bien prévenus. Arracher la terre à l’homme conduirait à l’avènement de société folles.
Folles de tristesse, de frustration, de complexe, de violence, d’inégalités. Folles surtout de laideur, d’ennui et de platitude. Folles de pas offrir à l’Homme le socle créatif qui titille et stimule ses sens, soit son humanité même !
Un exemple qui parle à tous et pour tous. Villeneuve-la-garenne. Par Berthe Morisot ou par Sisley. Renoir, le peintre de Montmartre, aimait tellement cette toile de Sisley qu’il disait qu’elle faisait naître le désir de s’y promener. A Villeneuve-la-garenne.
En 2023, les ZUS, les ZUP et les ZEP ont pris lieu et place sur ces mêmes paysages inspirants. Faut-il s’étonner?
Le déterminisme social est aussi une question de paysage — tristesse et violence contemporaines entrent en résonance avec la laideur qui les environne. Elles procèdent de ce désarroi esthétique dans lequel les politiques économiques outrancières nous ont foutu.
Depuis 150 ans que ce pays ne sait plus faire sortir de terre que des paysages sans beauté, ni rêve, ni extravagance.
Constat
Où en sommes nous, en 2023?
Le rapport du GIEC N°6. Le grenelle de l’environnement depuis 1968.
Les Accord de Paris. La COP N°22. Que disent-ils?
L’ère industrielle a littéralement niqué la planète. Et avec elle, ce qui a fait la spécificité de l’humanité même, — cette espèce qui depuis près de 7 millions d’années est exaltée par la Nature pour donner un sens sublime à son existence ordinaire.
Les impressionnistes nous avaient prévenus: l’Homme moderne a été privé de son droit le plus précieux — le droit d’être inspiré.