La Censure Dans La Mode

Ou quand la liberté d'expression et la critique objective semblent justement être passées de mode.

 

Quand tout est furieusement ‘AMAZING’. Quand le laid devient beau.
Quand une collection ratée est saluée par la critique – officielle ou auto-proclamée – comme une révolution esthétique…

Que reste-t-il de vrai dans la mode?

Spoiler: Pas grand chose.

 

Dans l’univers de la mode, c’est simple. On ne critique pas, on n’émet pas d’avis négatif, on ne va pas contre les RP, on n’invente pas, on ne se plaint pas…

On nage dans l’abstraction la plus totale.
Et c’est l’auto-censure qui met la mode à l’amende.

A quoi ça ressemble?
Les réalités déformées dans une novlangue fascinante
de médiocrité, dans des textes mega-policés…
Des politiques de “full look“ dans
des éditoriaux dénués de mode…

Décryptons un peu la censure qui fait
le business si juteux de la fashion.

Spoiler #2: Orwellien AF.

 

 

Si le totalitarisme est un phénomène de « masses » comme le dit Hannah Arendt, alors, la mode 3.0 l’est tout autant.

2008. La crise remet en cause des décennies de bling,
de porn-chic, de fric, et de créativité — aussi.
Remise en question de la sur-consommation,
remise en question du luxe,
remise en question de la mode même…

Pour survivre, celle-ci n’avait pas trop le choix.
Assagie, devenue pragmatique…

Il faut bien l’avouer: la mode, depuis ces années 2010,
agonise de tant de banalité. 

Les têtes de l’hydre fashion étant coupées,
d’autres n’ont pas tardé à pousser.

2008 donc, la deuxième vague de démocratisation de la mode
est portée par l’émergence des bloggers, et des nouvelles technologies.

Critiques, indépendants, cyniques et parfois viscéralement drôles,
les bloggers, à leurs débuts, n’y allaient pas de main morte.

Renversant le monopole des paroles de saison,
ils reprenaient le flambeau de l’arbitrage de la mode
— sans culot créatif, peut-être, mais avec un boucan internautique très efficace.

Mais voilà.
Le totalitarisme de la mode a su renverser la situation,
une fois encore!

La solution toute trouvée? Cajoler ces proto-guérilleros de la sape, pour les coopter dans le sérail.

 

A coup d’invitations, de places aux premiers rangs, de vêtements-cadeaux
— la critique s’est tue en même temps que Monsieur et Madame Tout-le-monde se muaient en ambassadeurs de marques.

L’arrivée d’Instagram a fini par mettre la critique à terre.
Et par voie de presse !

Asphyxiée, celle-ci n’a plus aucune raison de jouer son rôle,
et se contente de suivre un contenu pré-mâché par les maisons
et les agences de presse.

Conséquence sine qua non:
Chaque article, chaque éditorial,
chaque look clament les mêmes expressions,
les mêmes mots clés et des tricks-marketing rédigés en amont
dans les communiqués de presse — communiqués forcément diffusés
en masse dans tous les médias dits de “références“.

Et il y a pire.

 

La mélopée lugubre de la mode tient à peu près ce langage…

Le totalitarisme politique, en quelques points, c’est:
Concentration du pouvoir, contrôle de l’information, idéologie officielle, Répression, culte de la personnalité,
Absence de droits et libertés, dont la liberté d’expression…


1. Le Monopole des Moyens de Communication de Masse.

Un rapide coup d’oeil sur les canaux de communication de la mode suffit
pour se rendre compte que les maisons qui y figurent relèvent de trois grands groupes.

Or, lorsque ces trois grands groupes possèdent la vaste majorité des maisons de mode dignes de ce nom…
Aïïïe.

Avant les années 80 et le monopole
acquis par ces grands groupes sur la mode,
chaque financement donné aux médias était indépendant.

Forcément, la presse et les rédacteurs avaient les mains libres
pour exprimer le fin fond de leur pensée. Forcément, la critique était possible.
Et forcément, la mode avançait dans mille et unes directions!

En 2023, critiquer le défilé d’une maison,
revient à perdre le financement de tout le groupe,
soit toutes les maisons de ce même groupe.
Autant dire un suicide! Alors la mode étouffe.

Des pages de papier glacé, aux billboards,
en passant par les panneaux JCDecaux,
et les épaules des influenceurs
— ces groupes peuvent désormais diffuser sur l’ensemble
des canaux de communication marketing leur contenu.

Sans autre forme de procès
— ayant en face d’eux une pléthore de travailleurs censurés,
de peur de perdre leur gagne-Louboutin.

Alors, pépouze, on encense l’hideux, l’affreux,
et le banal deviennent ‘AMAZING’.

Histoire que ça rentre, rentre, rentre…
Dans tous les sens, et dans tous les sens du terme !

 

2. « Imprimer dans un moule et déguise pour donner l’impression d’uniformité des corps et des esprits. Elle ôte par essence sa personnalité à l’individu, qui n’a d’intérêt et de dignité qu’en tant que membre du groupe » Anne Morelli,Principes élémentaires de propagande de guerre, 2001

 

Comment fonctionne la mode en 2023?
C’est un joyeux bordel — qui porte bien son nom.

Tout commence par les pièces-clés
— ces petites merveilles que les marketeurs veulent vendre en pagaille.

On les offre d’abord aux influenceurs
avant même que le défilé ne pointe le bout de son nez.

Ces mêmes tenues se retrouvent ensuite
en full-looks dans les publications du genre,
créant, aux quatre coins du globe, une sorte de frénésie autour des it.

Viennent ensuite les campagnes officielles
— gargantuesques, notamment sur les façades de la vieille Europe en rénovation. Et là, BINGO!

Les consommateurs se lancent dans cette folie déguisée:
tous avec les mêmes fringues, dans les mêmes poses,
dans des photos identiques, avec les mêmes attitudes,
encore et encore, jusqu’à plus soif!

 

Comme s’ils étaient tous tombés
dans une machine à clonage — tous veulent en être.

 

 

Être comme l'autre pour avoir les mêmes privilèges; cherchant désespérément à se fondre dans le moule. Projection: à l’heure où 86 %des Américains âgés de 13 à 38 ans se rêvent influenceurs…
[Morning Consult, 2019]

Finalement, c’est un peu comme si on avait perdu
le mode d’emploi pour être soi-même…
Tout est contrôlé, tout est calibré, tout est dicté.
Censé élever la personnalité dans un monde de copier-coller,
la mode censurée, fait le lit de la médiocrité.

Preuve par un: la collection Chanel Haute Couture Hiver 2023.
Objectivement un flop. Pourtant qualifiée par les magazines
de « collection de la sophistication Parisienne. »

On comprend mieux pourquoi Emily in Paris
se vautre dans un manque de finesse…
Si elle suit aveuglément
ce que les commentateurs ont à dire.

Orwellien AF on vous dit.