En Défense de l'Appropriation de Classe

A l'heure où les inégalités sociales se creusent, la mode est peut-être accusée d'un tort qu'elle n'a pas commis.
Ou quand grimer le riche en pauvre peut justement servir l'inclusion.

Le lien entre vêtement et statut social est depuis longtemps l’affaire de tous.

L’époque où les nanties arboraient des chapeaux haut de forme:
On parlait déjà de couvres-chefs.

L’époque où les costumes Armani faisaient légion à La City:
On parlait de yuppies.

Plus récemment encore, l’époque où un sac Vuitton signait l’appartenance
au clan des héritiers, façon Paris Hilton…
Bon, cette époque, elle, est révolue.

Comme toutes les crises, celle de 2008 a rebattu les cartes du cool.
Et par la même, celles du snobisme.

En 2023, demeure cependant une association qui continue à faire grincer des dents. C’est le combo slim, adilette, chemise à fleur, bob et banane portée à travers le buste.

Depuis 2014, les commentateurs de la mode – autoproclamés ou non – n’ont de cesse de pointer du doigt cette tendance comme une appropriation de classe.

Mais de quoi parle-t-on exactement?

 

La Gentrification du Vêtement

Pareille à son pendant urbain, la gentrification du vêtement décrit le phénomène d’adoption par les classes supérieures des espaces, des codes, des vêtements, bref, de l’apanage stylistique des classes populaires.

Des podiums aux éditoriaux, la fashion sphère semble en effet s’être prise d’une passion dévorante pour tout éléments portés par les exclus du système.

Plus la pièce est connotée “racaille“, “roms“ ou “povera“, plus la pièce est appréciée – et plus une pièce est appréciée, donc recherchée, plus son prix s’envole vers l’infini et au-delà.

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Le Populisme poussé à son Paroxysme...

Le nouveau cool se niche dans la subversion d’une banane, d’un bob, d’un sac-poubelle hors de prix, d’une paire de claquette/chaussette, de baskets requin, dans un pantalon/jogging à trois bandes ou une paire de crocs.

Nouveau snobisme de l’élite qui joue au pauvre ?

Si telle est l’idée, alors Chanel est la plus populiste des couturières.
Une élégance dépouillée, tricotée à partir de jersey, qui lui value d’être qualifiée de “reine du genre pauvre”.

Une façon pour les designers de moquer les riches en les affublant tels des pauvres ? Demna Gvasalia ricane souvent à l’idée – face caméra !

Sorte de Processus d'Egalisation des Couches Sociales ?

L’Occident est dans une telle psychose collective quant à l’accroissement fulgurant des inégalités de richesse, et la disparition supposée de la classe moyenne, que la mode ne peut que refléter cette volonté d’égalisation parfaite de la société.

Le monde de la mode a choisi son camp. Il sera anti-bourgeois, mais pro-consumériste à mort!

Pointer du doigt la mode pour l’appropriation de classe, c’est faire un faux procès à ce que la mode a toujours été.

Dès les années 60 et la révolution dite du Youthquake, ces mêmes jeunes issus des classes aisées ont voulu adopter les codes des déclassés de façon à mieux les intégrer.

Vu texto chez les beatniks!

Qu'on le veuille ou non, la mode à travers son pouvoir normatif et performatif sert souvent la cause des exclus.

Jusque dans les années 90, les jeans déchirés, les têtes de mort et autres attributs des marginaux à piercing provoquaient, sur les trottoirs du monde entier, une certaine panique morale.

La mode a ce pouvoir de retirer toute connotation négative, voire agressive, à ces symboles de rébellion. Mais il est certain qu’elle dépolitise ces signes de résistance.

Bientôt, peut-être déjà, croiser un homme encapuchonné
dans une ruelle sombre ne fera plus peur.

Bientôt, peut-être déjà, les ‘racailles’ reconnaissables à leur panoplie survêt/baskets pourront jouir des mêmes droits qu’un homme en costume.

Certes, on peut regretter la capacité du capitalisme à absorber toutes formes de résistance pour en faire un nouveau débouché commercial.

Mais cela ne concerne que les fashion victimes.
Qu’elles shoppent chez Raf Simons, Vetements, Balenciaga ou Urban.

Lorsque la mode 'trolle' les masses, c'est souvent signe qu'elle y inclue les exclus.