Ni expert, ni connaisseur.
Mais a-t-on besoin de l’être pour discuter un film de Polanski?
Discuter reste le bon mot.
Car en 2023, le nom de Polanski résonne plus souvent dans la rue comme celui d’un violeur que comme celui d’un réalisateur.
Je ne connais pas Polanski.
Et il est vrai que Polanski a été jugé coupable d’un truc si atroce que je ne veux même pas en pervertir ces lignes.
Reste que je suis tombée sur un film, The Tenant.
Reste qu’en tant que spectatrice, il m’est impossible de me défaire de la réalité.
Alors oui, regarder un film de Polanski c’est forcément avoir en tête non plus des accusations mais des faits.
D’accord.
Mais ça n’empêche que l’on regarde un film et qu’un film diffuse des idées. Des émotions. Des visions.
C’était comment The Tenant? Salace?
C’était bizarre. Pas le bizarre “Polanski violeur“.
Le bizarre du singulier.
Le bizarre des films qui ont une queue mais n’ont pas de tête — sans mauvais jeu de mots. Car des têtes, dans ce film, Polanski en a deux.
Il est Le Locataire Trelkovsky qui prend l’appartement d’une mademoiselle Choule dont on sait qui elle fut, à travers ceux qui l’ont connu. Dont on sait, aussi, ce qu’elle fut par ce qu’elle laissa dans son appartement. Ce, avant son suicide.
Une Simone Choule dont on ne connait ni le visage, ni l’histoire.
Mais dont on connaît les habitudes.
Et c’est, je crois, le noyau dur de ce film.
Un film bizarre parce qu’il évoque une réalité peu discutée dans la vie moderne: nous sommes, en tant qu’individus modernes, des remplaçants.
Des répliquants.
Primo-arrivant sacrément timide, Monsieur Trelkovsky s’installe donc dans l’appartement de Miss Choule. Et finit par prendre sa place, ses habitudes. Ses goûts. Ses clopes. Ses potes. Et finit même, un jour, par lui piquer son apparence supposée.
Enfin…
Ce sont les voisins de pallier qui semblent lui forcer la main.
Car dans un tour de maniaquerie dont on ne saisit le degré de réalité psychotique, Polanski nous fait saisir un truc vachement intéressant — les voisins, ces étrangers du dedans, attendent du nouveau locataire qu’il soit discret.
Invisible au possible.
Pas de meuf. Pas de pote. Pas de bruit. INVISIBLE. Une sorte de tyrannie du silence, imposée par des personnages franchement revêches. Carrément langue de pute, pour parler le vrai d'aujourd'hui.
Là où le film entre sans frapper dans le domaine de l’étrange, c’est quand Polanski le saupoudre d’éléments surnaturels.
Des visions, de personnages un peu désuets.
Une dent dans un trou. Le tic-tac constant qui accompagne en musique la perte de toute logique. La notre, et celle de Monsieur Trelkovsky.
Vertige, paranoïa, fièvre. Le délire.
L’amour, aussi.
Scène de cul mignonnette avec touche-pipi dans le cinéma. Isabelle Adjani qui le pelote, par-ci, par-là.
On est loin de l’imagerie sacrément sexuelle et dégradante diffusée en masse par d’autres réalisateurs.
Presque déçue, au vue de la réputation de Polanski.
Est-ce que ça coince? Pas vraiment. Pas du tout même.
C’est un film qui nous embarque à gauche puis à droite, en haut puis en bas, sans passer par le milieu — un film qui joue avec notre logique et fait sourire au moment où il doit nous épouvanter.
The Tenant n’est pas flippant.
Pas creepy. Il est juste bizarre.
Je pense que l’épouvante du Tenant se niche ailleurs.
Dans la banale réalité de cette histoire.
Une bande de voisins à la vie bien plan-plan qui impose au pimpant Trelkovsky leur vision du convenable.
On ne siffle pas. On ne célèbre pas. On ne met pas de musique. Pire: on ne joue pas aux billes.
Le cri qui ouvre et boucle le film est peut-être le fuck-off fatal.
A ressortir la prochaine fois qu’on vient se plaindre, en tambourinant à la porte, du bruit ou de toutes autres drôleries.
Trelkovsky, lui, n’a pas réussi.
En pur répliquant, il fut victime du chantage tacite qui est fait aux migrants. Assimile, ou part.
Dans une dernière pirouette de Polanski, on saisit que Simone Choule, c’était lui.
Fin de l’histoire.
Juste bizarre.