GOT plaît. Car il y a plus.
Les imaginaires sont des orgues sur lesquels les créatifs les plus talentueux peuvent bien jouer n’importe quoi.
Tant que leur partition veille à souffler sur les cordes sensibles; éveillant celles qui sont enfouies chez l’Homme primitif qui nous habite. Tous.
Examinons la partition de Game Of Thrones.
1. Grosse Armurerie et Contrat Social
Alors oui, au 21e siècle, les gens s’ennuient.
Ennuyés de tout savoir sur tout, larvés de contenus explicites qui leurs donnent à comprendre le monde qui les entoure.
Boring.
Le pire?
On leur lance sans respect dans le bec des informations scientifiques, des statistiques, des vérités qu’ils ne soupçonnent pas. Doublement boring.
Ce que l’homme primitif veut, ce sont des prophéties.
BINGO! GoT en déborde.
Croyances religieuses, mysticismes, folklores et récits fabuleux qui effleurent ce que les bons-Hommes savent déjà.
Le désintérêt de l’homme du 21e siècle pour les sciences, la raison et le savoir se sent dans le succès de GoT. Max Weber misait sur le désenchantement du monde, aka le triomphe de la rationalité.
Ici on penche pour le réenchantement du monde, façon Michel Maffesoli: la ‘remagification’.
Forcément fascinant: les géants, les trois dragons, les loups albinos ou surdimensionnés, les enfants de la forêts ou les très, très flippants marcheurs-blancs. Les morts-vivants ou les morts qui redeviennent vivants. Franchement fascinant.
Et puis la magie!
Cette bonne vielle magie qui satisfait des rêves aussi vieux que l’humanité. D’ailleurs, qui ne s’est jamais demandé comment les systèmes politiques s’étaient concrètement mis en place?
Rousseau l’a fait. Hobbes l’a fait. Thomas Moore l’a rêvé.
Platon l’a proposé.
C’est ça, le Game Of Thrones. Le jeu des pouvoirs. Explicité ici façon contes païens — des Hommes qui en commandent d’autres, c’est la base.
Même l’imagination fantasque à souhait de George R. R. Martin ne se résout pas à dépasser cette croyance antédiluvienne. Les Hommes sont sur Terre pour être dirigés. Des familles décident pour la majorité, à qui d’ailleurs nul épisode n’est consacré…
Même la magie n’y peut rien baby. La vie des rich and famous — ça fascine. Mais alors en peaux d’ours…
2. En Majeur: Violence Visuelle et Tabou Universel
La plus puissante des cordes jouée par GoT n’est pas le spectacle fantasmagorique des grandes plaines enneigées — nature untouched qui par ailleurs résonne si bien avec le climat actuel.
HBO tape fort, très-très fort avec un spectacle jubilatoire où le sang gicle en même temps que tombent les décapitations.
Les assassinats. Les trahisons.
Les batailles en face-to-face. L’image de l’‘aube cruelle’, violente et guerrière, est largement rejouée ici.
Quand ce ne sont pas les instincts primaires, façon Freud, qui sont titillés par le sadisme de certains personnages.
Comparées aux épisodes de GoT, les vidéos L-214 c’est Oui-Oui, dans sa voiture jaune et rouge.
Le massacre des ‘Noces Pourpres’ autour d’un banquet laisse les spectateurs en proie avec le fardeau de ce qu’ils viennent de voir.
Puis vient le moment de triturer la corde du tabou universel.
L’inceste.
D’abord façon amour impossible entre Jaime et Cersei Lannister.
Impossible dans la vraie vie. Car leur progéniture aurait carrément dû ressembler au blobfish plutôt qu’à des apollons.
Enfin, il y a tout de même un nain. Merci l’imaginaire HBO.
La seconde fois, l’inceste est évoqué comme une dérive sale, mais franchement sale. Le mec en vient à violer sa soeur.
A côté du corps leur fils. Dead.
Ce n’est pas tout!
La série dénoue le mystère le plus palpitant de sa narration avec la paternité de Jon Snow… En même temps qu’elle ruine la love story des cool kids de GoT… Avec un imbroglio Oedipien.
Daenerys est en fait la tante de Jon Snow.
Ouch.
Autre arc narratif des plus puissants: dans GoT, les héros peuvent mourir. N'importe qui, n'importe quand. Et ça, c'est vachement bien.
Un massacre en règle des narrations édulcorées, devenues quasi-inaliénables dans les récits.
Trahisons et vendetta n’ont aucune limite. Pour le plus grand plaisir de notre petit cerveau reptilien.
3. En Mineur: Catharsis et Sauvagerie Affriolante
GoT joue à fond la carte des costumes affriolants de sauvagerie.
A des fins spéculatives et spectaculaires. Et ça marche!
Effet cathartique à une époque où l’on s’interdit toute fantaisie vestimentaire. Encore plus le port de la fourrure. Même vintage.
Les bons samaritains confondent tout, et ça leur va très bien de vivre par procuration.
L’effet est d’autant plus cathartique que les méchants finissent humiliés ou décapités sur la place publique.
Il n’y a qu’à voir la satisfaction tirée par les spectateurs à la vue de la sinful Cersei se faire lyncher pour ses ‘moeurs déviantes’. Jubilatoire.
Cathartique aussi de voir les bons revenir de loin. Arya, Jon Snow. Le public adore le retour en force des déchus.
Ça rassure.
4. Le Grand Final
Huit ans durant, Game Of Thrones a joué sur le grand orgue des imaginaires. Satisfaisant les instincts, bousculant la morale.
Certes.
Cela dit, GoT a surtout placé le spectateur en position de témoin d’horreurs inimaginables.
La série a enrichi sa vie.
Le spectateur laisse aux autres le soin de combattre le mal.
De vivre de grandes aventures. De sauver le monde.
Tout ça, du fin fond de son canapé.
Est-ce à dire que GoT plaît en ce qu’il stimule des émotions devenues étrangères voire inédites à l’homme du 21e siècle?
La série a au moins le mérite de l’avoir tiré de son ennui.