Par Pascal Ory.
Sujet moins frivole que sa pratique le laisse penser.
Voilà le genre de livre qui fait furieusement envie.
On lit une, deux, trois pages et, c’est l’effet Boule de Mammouth.
On lèche, on lèche, on lèche. Chaque fois un peu plus péniblement; pressé de voir ce que réserve la fin.
Et puis.
Tin Tin Tin
Reste que le sujet fait baver. Le bronzage, plutôt sexy
comme fait social.
Le livre de Pascal Ory est un morceau de bravoure dans les sciences sociales. Françaises, évidement.
L’explication des phénomènes culturels dans une vision monoculaire: Pascal Ory dit basta!
Ici on pense les phénomènes imbriqués les uns aux autres.
Alors forcément, on décloisonne — on croise les disciplines.
Politique, sociale, économique, culture, mythes — ensemble,
elles n’ont qu’un but: rectifier la doxa et ses croyances.
Mais ce livre ne s’adresse pas au plus grand nombre.
Faut pas déconner.
Le livre est un charabia, complètement hermétique.
Au milieu de ce jargon scientifico-littéraire, quelques envolées lyriques touchent parfois leur but, aka être comprises, aka faire passer un message.
En voici le propos décortiqué.
« L’une des grandes révolutions culturelles du XXe siècle n’a, jusqu’à présent, guère suscité l’intérêt des historiens, au motif, inexprimé, qu’elle touche sans doute à l’absolu de l’ig-noble : Celle qui a conduit le canon de beauté pigmentaire occidentale de l’ordre du marbre à celui du bronze. »
Pourquoi l’imaginaire collectif Occidental a longtemps tenu la peau ‘blanche’ pour la plus belle des pigmentations? Au commencement était la terre, le ciel, le jour et la nuit, répond Pascal Ory.
Connaissant le sectarisme des populations du temps d’avant, il est facile d’acquiescer lorsque l’historien parle de « la négativité associée à l’obscurité, à la nuit, partant aux teintes sombres, opposées aux teintes de la lumière. »
Ainsi donc, portée par les croyances païennes sur lesquelles elle se fonde, la religion Chrétienne achève de faire de cette teinte-lumière l’une de ses prérogatives. La peau blanche devient synonyme de pureté, bonté, supériorité et tout le tralala.
Les Croisades. Les guerres contre le Sarrazin musulman.
Le Colonialisme.
Ce que l’on a peut être moins en tête, c’est que les femmes étaient les premières concernées par l’obligation de maintenir une peau blanche. Bien seulement les femmes de l’élite.
Oui, le peuple ne supervise en rien l’histoire.
Encore moins son idéal de beauté.
L’homme de l’élite, lui, actif et forcément en contact avec le soleil, ne pouvait empêcher sa peau de brunir. Légèrement peut être, mais brunie quand même.
D’où la hype autour de la poudre de riz, des concoctions blanchissantes et autre blanc de céruse. D’où surtout le panache de la formulation de Pascal Ory:
« Traité de médecine, poème d’amour, crème de beauté: même combat avec plus que jamais pour enjeu la femme, par ailleurs peu actrice dans ces trois secteurs, à peu près absente qu’elle est, déjà des deux premiers, qui parlent de sa santé et de sa beauté sans vraiment lui donner directement la parole. »
Car à l’orée du XXe siècle,
une fois la religion virée de l’équation, le bronzage s’impose
à coups de tergiversations entre les corps Médical, Politique et Médiatique.
Une chose devient alors claire — ni les premiers congés payés arrachés par les communistes, ni Coco Chanel ne sont derrière l’engouement pour le teint hâlé.
« Une fois de plus, peu importe que le phénomène soit limité à une avant-garde: l’arrière a fini par suivre. Peu importe que ces postures aient été accueillies par la colère ou la dérision: elles se sont imposées. […] Seules comptent, sur la distance, la conquête de visibilité, la conquête d’espace social, premier pas vers la légitimité. »
De cela il ne faut non plus tirer de conclusions trop hâtives.
Au lendemain de la défaite de l’idéologie Aryenne, l’homme blanc ne s’est pas tout à fait mué en combattant pour l’égalité des peuples.
La pigmentation noire, jaune ou rouge n’a pas non plus figuré un idéal de beauté. Le bronzage de l’homme blanc est loin, très loin d’être une affaire de mimétisme avec le colonisé, rappelle Pascal Ory.
Comment en être certains?
Il n’y a qu’à entendre, ça et là, en 2023 comme par le passé, les questions posées aux individus d’ébène: “Mais tu bronzes pas toi, si?”
En étant maître de sa couleur de peau, le blanc est le maître tout court. Il se pense ainsi le seul apte à maîtriser la nature; apte à jouer de sa pigmentation; apte à jouer au ‘sauvage’ lors de ses villégiatures.
A ce propos, les échantillons d’articles des magazines Marie Claire, Elle et Vogue, recueillis par Pascal Ory, laissent transparaître tout, mais alors tout du racisme inhérent à la mode.
Le truc avec le bronzage n’est pas de ‘cuire’ mais d’obtenir un léger hâle — le teint de pêche étant aujourd’hui encore l’idéal, devant le teint de cuivre.
Ce que laisse deviner l’analyse de Pascal Ory, c’est à quel point ces magazines de mode sont en retard sur leur époque.
A l’aval plutôt qu’à l’amont, ils n’en restent pas moins pourvoyeurs de conseils, de leçons de style. De leçons de vie même.
Sorte d’instruments de liaison entre l’élite/avant-garde décomplexée et souveraine, et le plus grand nombre.
En attente. Toujours. D’un exemple à suivre.
Cette question est cruciale à l’heure des ‘influenceurs’. A l’instar des magazines avant eux, ces autorités auto-proclamées ont un réel impact sur les foules et leurs perceptions du Beau.
Il a fallu attendre quelques posts Instagram dévoilant des filles aux aisselles hirsutes pour qu’enfin les femmes s’assument, peu ou pas du tout épilées.
Il a fallu quelques filles d’Instagram devenues mannequin avec leur cellulite bien visible pour que celle-ci devienne edgy.
Il a fallu l’attention portée sur quelques vedettes de cinéma, avec leur cheveux naturels, pour valider les cheveux bouclés, les afros et autres cheveux laisser libres de virevolter.
Est-il possible que pareille à la couleur de peau transmise par les gênes naturels, la propension à suivre la figure du berger tienne à des gênes-culturels?
Qu’on pardonne l’oxymore, mais à bien y regarder: la majorité des individus attend des élites qu’elles lui montrent le chemin. Pour s’accepter enfin.
Pour valider ses goûts, désirs, choix et actions.
Du reste, on peut aussi s’attrister de voir Pascal Ory passer complètement à côté de la question qui nous anime tous: Pourquoi/comment, ô comment, certains trouvent de la beauté dans un bronzage franchement grossier?