Le film de la cosmogonie humaine.
Vécue et oubliée sous un paquet de Pringles.
La Strada, c’est un double souvenir. Le sien, d’abord.
Enfin, le mien. Le souvenir d’un film troublant.
Troublant car pour quelqu’un né en 1992, initié au cinéma troublant par Le Silence des agneaux, Le Projet Blair-Witch, Thirteen, Donnie Darko ou encore Carrie — le réalisme du passée trouble plus encore.
La Strada n’est pas un film de bons sentiments, mais il en fait naître de très bons. La compassion d’abord, la poésie du fantasque et du vide ensuite. La tristesse enfin.
Pour résumer un tel chef d’oeuvre en une phrase, on dira: la Strada c’est le départ de l’enfant; l’aventure, la folie, et la dureté et l’infamie inhérente à la vie des marginaux.
Pour en faire le synopsis, on dira: Epoque oblige, la mère vend sa fille à un rustre forain itinérant, et à peine moins fauché qu’elle. Les voilà partis pour l’aventure, la petite et fluette Gelsomina et le grand-gros Zampano.
Ensuite, La Strada, c’est le souvenir d’un temps complètement révolu. Un temps qui appartient aux fables; fables que se racontent l’humanité. Le temps des roulottes, des itinérances, le temps de la débrouillardise.
Le temps sans temps en fait.
Un temps où les marginaux gagnaient leur croûte en amusant de leur talent la galerie des badauds — chaque fois un peu plus impressionnant de roublardise.
C’est finalement un temps où tout le monde a un incroyable talent. La surprise en plus.
Le cliché en moins.
J’ai dis double souvenir? Il en manque un.
La Strada c'est aussi le souvenir d'un cinéma qui fait de la marge une vedette de cinéma. Le “cinéma social“, la charité en moins.
On pourrait disserter des heures de la Strada. Et sur Fellini. Nombre d’experts l’ont fait avec brio.
Ici, on préfère s’arrêter sur l’évidence.
La Strada est le film de l’avant. Avant quoi?
Avant que les marginaux ne soient enfermés et placés loin des ‘normaux’.
Avant que le cirque et son itinérance se contentent de spectacles d’animaux et de clowneries qui ne disent et ne montrent plus rien de l’immense diversité de l’espèce humaine.
Une espèce d’abord, humaine bien après.
Le film de l’avant, surtout, que le monde entier ne se jette à corps perdu dans le mirage de la modernité.
Exemple probant. Le sublime – en prenant ce mot dans le jus de son étymologie – le sublime de la façade du cabaret L’Enfer du boulevard de Clichy, à Paris, n’ouvre plus que sur un Monoprix.
Temple, glauque et prosaïque ,de ce qui fut laissé à l’imaginaire humain, à présent tombé dans la modernité.
La Strada est un film sur ce que nous fûmes, un jour...
Violents mais solidaires. Rustres mais sensibles.
Nomades, durs et féroces, mais culottés et hardis.
Créatifs, en un mot: humains.