La Puissance Du N’importe Quoi

An article written by Doria

Le Fuck élégant porté aux conventions.

Les règles naissent des choix d’autrui. Mais pas des miens. Qu’on se rassure, le “N’importe Quoi“ défait justement les entraves des us et coutumes. Car dans l’art, et c’est bien connu, l’humour détend quand le rire déride.

S’époumoner sur le pavé? Très peu d’attrait. On préfère ici toucher au coeur même des schèmes cognitifs — et la démarche ne date pas d’hier. 

Nager dans le cinquième degré, en tirer des idées allumées — c’est peut être ça le cauchemar des conservateurs. Inspirer le désintérêt pour les conventions jusqu’à changer la façon dont on veut vivre. Sans rage revendicatrice. 

Car s’il y a bien deux fondements à l’immobilisme, c’est la mystification et la solennité. Comptez sur le rire pour tout parasiter.

 

 

1882 à 1895. Le Salon Des Arts Incohérents

En place depuis Louis XIV, l’Académie régente la vie artistique, le convenable, le fin, le beau et le sublime depuis… Belle lurette!

Nul artiste ne trouve grâce à ses yeux sinon celui qui exécute avec une assiduité d’employé de bureau ses préceptes admis. Une sorte de classicisme — peu importe le sens que lui donne chaque époque. 

C’est justement là qu’une bande de rigolos décident d’agir. Au XIXe siècle. Avant les avant-garde comique à la Duchamp. Avant Picasso. Avant l’art contemporain façon Maurizio Cattelan. 

Bref, ces rigolos là inaugurent un contre-salon burlesque et parodique: Le Salon Des Arts Incohérents.

Comment représenter méfaits et moeurs d’autrui sans entrer dans le jugement? Par le N’importe Quoi, évidemment! 

 

Les métaphores en vogue à l’époque… 

Pierre Puvis de Chavannes.Le pauvre pêcheur, 1881.
Un criminel étouffant la voix de sa conscience.
Ministre murmurant à l’oreille de…

Laissant ainsi aller son imagination, l’un d’entre eux, Alphonse Allais, dit Alphie, parasite les règles pour mieux exorciser l’homme d’une injonction bien bourgeoise, morne et franchement cafardeuse — le sérieux. 

Le genre de propositions chères à Alphie? La casserole carrée pour empêcher le lait de tourner. L’aquarium en verre dépoli pour poisson timide. Des obus chargés de poil à gratter. A bien l’imaginer, le carnage aurait pu être évité. 

Oui, Alphonse Allais était un inventif. Loufoque et si fou qu’il inventa le café lyophilisé.

Alphonse Allais était artiste aussi. On lui doit les monochromes les plus pertinents de l’histoire de l’art.

Quand Le N’importe Quoi connecte au Grand Tout…

Maintenant — regardez.
Plus fort que n’importe quel treehugger, l’artiste Christian Jankowski dénonce l’absurdité des grandes surfaces en même temps que le stade contemporain de l’évolution. 

Dire qu’il y a quelques siècles encore, l’humanité inventait le feu et vendait la peau de l’ours avant de l’avoir tué. A mains nues. 

Le rire sent bon la rupture. Etonnant qu’il faille à tout prix l’étouffer dès l’instant où il apparaît — le fou rire, le rire sonore, le rire idiot, le rire grossier, le rire… 

… Il Se Fait Prodige

L’histoire le prouve — ce qui hier faisait rire aux éclats peut tenir aujourd’hui de la dernière innovation. Les inventions farfelues de Jacques Carelman par exemple.

Lorsqu’il publie son Catalogue d’Objets Introuvables  en 1969, le public déjà se rue sur ses inventions mêlant logique et absurdité et détournement et… Jubilation! Puéril peut-être, mais tellement innovant. Là où certains lisent l’inutile, les branchés, eux, y voient l’avenir. 

 

La Bicyclette au repos.
La Baignoire à portière.
Le Chapeau radio. 

 

Le N’importe Quoi ne prétend pas changer la vie.
Il en fait émerger des réalités inédites.

Car si foutage de gueule il y a — et il est certain — celui-ci paraît si indolent qu’il n’en est que plus puissant.

Le N’importe Quoi, Ou La Forme Critique La plus Efficace qui soit

Dénoncer pêle-mêle les agissements des neo-seigneurs du Moyen-Orient, et ceux des white-trash-suprémacistes?
Sacha Baron Cohen, The Dictator (2012), Who Is America (2018) — Check! 

Dénoncer la vacuité du marché de l’art? Christian Jankowski, Strip The Auctionneer (2009)— Check! 

Dénoncer les standards de beauté franchement flippants d’Hollywood? Le too-white, too-bright, too-crude?
Esther Ferrer et Cindy Sherman — Double Check! 

Là réside toute la puissance du N’importe Quoi: poser les bonnes questions ou exprimer des opinions sans moral….

Quand la critique, elle, ne sait plus faire que dans la condamnation, l’apitoiement à coup de ‘should’ et d’yeux levés au ciel. 

Hip-Hip-Hip, n’importe quoi ! 

 

 

Crédits images: “L.H.O.O.Q.“, Marcel Duchamp, 1919
Manifeste du Salon des Arts Incohérents, 1882
“Le Pauvre Pêcheur“, Pierre Puvis de Chavannes, 1881
“Premières communion de jeunes filles chlorotiques par un temps de neige“, Alphonse Allais, 1897
“Stupeur de jeunes recrues apercevant pour la première fois ton azur, ô Méditerranée!“, Alphonse Allais, 1897
“The Hunt“, Christian Jankowski, 1992
Le Catalogue d’objets introuvables, Jacques Carelman, 1969
“Untitled#474, Cindy Sherman, 2008
“The Dictator“, Sacha Baron Cohen, 2012

 

art
Duchamp