Briller en Société avec Marina Abramovic

An article written by Doria

Platon l’a romancé. Rousseau en a fait un plaidoyer. Locke s’est interrogé. Hobbes a corrigé. Et Marina Abramovic a fini par le prouver. 

L’Homme est cruel, une fois déresponsabilisé.

La conversation est le meilleur des divertissements.
A condition de namedrop les bons éléments. 

Son nom sur toutes les lèvres, inutile d’étaler ici l’épopée sauvage d’Abramovic. Figure pionnière de performances franchement féroces, l’artiste sort des cercles d’initiés pour entrer dans le domaine populaire avec une vidéo devenue virale. 

Au MoMa, la performance sobrement titrée ‘The Artist is Present’, consiste pour une personne du public à s’asseoir face à Marina Abramovic. 

Autant de temps qu’elle le souhaite. Sur une chaise, les yeux dans les yeux… Le face à face éveille quelque chose chez l’un, et rien chez l’autre. 

C’est la force Abramovic — rien ne bronche, rien de bouge.
Et c’est forcément fascinant. 

 

Dans cette vidéo donc, c’est Ulay qui lui fait face. Le premier homme à avoir partager sa vie et son art fait céder le roc Abramovic. 

C’est so cute. So adorable. So chessy aussi.
Forcément, la foule applaudie. 

Mais la foule a surtout la mémoire courte.

1. Une galerie. Une performance. Le Public Prêt à Mordre. Rhythm 0

1974. Gallerie Studio Morra, Naples. Ici Marina Abramovic. 23 ans, une question…

« How far the public can go if the artist himself is doing anything? »

… Des instructions: « There are 72 objets on the table. You can use everything on the table on me. I am the objet. I’ll take the responsibility. Even killing me. The time is 6 hours. »

… Des objets répartis en deux catégories: le plaisir et la douleur. D’un côté des roses et du romarin, du miel, des plumes, du parfum. De l’autre des rasoirs, aiguilles, couteaux, du souffre, des chaînes, et un pistolet chargé d’une balle.

… Une artiste debout, immobile, silencieuse, habillée (au début tout du moins). Une femme-artiste s’offrant telle une poupée vivante, donc.

Statement N°1: "Il faut envisager la performance comme un miroir offert aux spectateurs: je mets en scène des moments douloureux et je me nourris de l'énergie du public pour dépasser ma peur. C'est une manière de dire aux gens qu'ils peuvent y parvenir tout autant que moi. Savoir affronter la douleur est quelque chose de très ancien que l'on retrouve dans les rituels aborigènes par exemple, où l'on apprend à contrôler la douleur physique pour s'en libérer."
Marina Abramovic

La samouraï de l’art contemporain a le sens de la mise-en-scène
— à des fins spectaculaires et spéculatives.

Le public est plutôt charmant. Au début. Les gens viennent l’enlacer, l’embrasser. Gentiment, ils jouent avec elle. Levant son bras, tournant sa tête.

L’esprit est bon enfant. Mais, à mesure que la galerie se remplit, comme promis, l’humanité ne tarde à faire honneur à sa réputation.

2. Esprit de Foule. Esprit de Fou

Un indice sur la violence à venir — la performance est interrompue lorsque Marina Abramovic se retrouve un flingue chargé, pointé sur sa trachée.

Pour le public présent, l’artiste ne mérite désormais aucun égard.

Statement N°2: "Plus on lutte pour s'en sortir, plus on devient un bon artiste. L'art ne naît pas du bonheur des hommes mais de leurs tragédies." 
M.A

Sur l’objet qu’est alors une Marina Abramovic privée de parole et de mouvement, va se déverser toute l’horreur qui mue l’humanité.

Poussé vers des instincts nauséabonds, le public va réagir avec une violence que l’on croyait relever de la diablerie d’Hannah Arendt.

Nous sommes au coeur des années 1970, supposément celles où la masse fut l’une des plus éduquées de l’histoire.
Du tout!

Marina Abramovic apporte ici sa contribution au débat incessant
sur la nature humaine…

Ils ont d’abord déplacé l’artiste sur une table. Allongée.
Ils ont placé un couteau entre ses jambes.
Mais ce n’était pas assez.

Avec le ciseau, ils ont découpé ses vêtements,
laissant ses deux seins découverts.
Mais ce n’était pas assez.

De la rose, ils ont retiré les épines pour les enfoncer dans sa peau. Stoïque, passive, seules des larmes dégouttent de l’artiste.
Mais ce n’était pas assez.

Avec le scalpel, sur son cou, ils ont réalisé une entaille.
Mais ce n’était toujours pas assez.

De cette entaille, ils ont bu son sang.
Mais ce n’était toujours pas assez.

Ils chargent le pistolet, le placent dans sa main, pointent l’arme
vers sa trachée, et le doigt sur la gâchette.

Le galeriste intervient. La performance prend fin.
La salle est bondée.

La sacrifiée reprend alors possession d’elle-même. Active.
Capable de bouger. Son regard se pose sur la foule,
cette foule si brave, si hardie.

Cette foule où, Abramovic raconte:
« Les femmes disaient aux hommes quoi faire. »

Dès lors cette foule, notez-le, a déguerpi aussi vite qu’elle a pu.

Statement N°3: "Cela montre à quelle vitesse quelqu'un peut se décider à te blesser lorsqu'il y est autorisé. Cela montre à quel point il est facile de déshumaniser quelqu'un qui ne se défend pas. Cela montre que la majorité des gens 'normaux' peuvent devenir très violents en public si on leur en donne la possibilité." 
M.A

La critique a préféré voir dans la performance l’exhibitionnisme d’une femme forcément masochiste et avide d’attention.

Aujourd’hui, on y voit la preuve que l’homme est cruel face à ceux qu’il méprise. En groupe, déresponsabilisés, les hommes sont bien créatifs dans la barbarie. 

Cette réalité se lit, se vit, se produit tous les jours, loin des galeries d’art. Dès lors que l’autre est réduit à l’état d’objet. 

Animaux. Plantes. Réfugiés. Migrants. Femmes… est humain, est capable de sentiment, donc de douleur ou de plaisir, celui ou celle qui me ressemble. 

Le reste?
Le reste ne relève pas de ma responsabilité. 

 

Hate, Art and Shame baby!