Masques de gorilles, humour cinglant et déclarations bien fondées — les Guerrilla Girls n’ont que faire de manifester de la déférence pour l’art et son patronat.
La conversation est le meilleur des divertissements. A condition de namedrop les bons éléments.
La raillerie-engagée des Guerrilla Girls par exemple.
Une bande de femmes, artiste, féministe, anonyme, et hautement inspirée.
But de la manœuvre: débaucher le racisme, le sexisme, le clientélisme et le tokenisme des hautes sphères de l’art.
Depuis 1985.
Eté 1984.
Le MoMa, nouvellement agrandi, accueille l’exposition de tous les manquements.
’An International Survey of Recent Painting and Sculpture’ orchestrée par le curator Kynaston McShine.
L’expo se figure en évènement. 17 pays parcourus et représentés.
Le communiqué parle de:
« Révéler la grande qualité et l’extraordinaire vitalité de la récente production artistique en reconnaissant la variété des travaux de la jeune génération d’artistes. Ensemble, les 195 pièces inclues dans l’exposition offrent une vue d’ensemble sur l’atmosphère artistique extrêmement vibrante du moment, tout en communiquant sur la grande diversité et l’individualisme qui prévalent dans la production artistique contemporaine. »
Et Kynaston McShine, le curator, d’ajouter:
« Quelconque artiste qui ne serait présent dans ce show devrait repenser sa (his) carrière. »
Pim Pam — voilà des propos qui soulèvent plus le sourcil que l’enthousiasme.
En cause? Parmi les 165 artistes exposés,13 sont des femmes.
La proportion d’artistes de couleurs est encore plus ridicule.
200 manifestants du ‘Women’s Caucus For Art’ devant le MoMa — le MoMa s’en tamponne.
Est-ce à dire, alors, que le monde de l’art a un problème de quotas?
Que la production artistique doit être perçue à travers la notion de genre?
Ni l’un, ni l’autre. Car auprès d’une bande de girrrls, cette arrogance a fait l’effet d’un catalyseur…
L’héritage structurel est tel que l’art produit par les femmes ou les membres d’une minorité est immédiatement, ‘naturellement’ écarté des grandes expositions. Des grandes collections, aussi.
Les grandiloquences d’un curator, pourtant homme-de-couleur, n’ont pas suffi à masquer la sensation de… foutage de gueule.
Statement N°1: "No one really cared about it, so we’ve decided we would put up some provocative posters on the streets and get people to talk about it."
Examinons la structure du monde de l’Art.
Les musées sont financés par de riches mécènes, aka des collectionneurs. Ils paient pour ce que le musée veut collecter. Et il y a plus de chances qu’il paie pour y accueillir des artistes qu’ils possèdent déjà. Art en lien avec leur valeurs. Leur goût. Leur géographie. Bref, un art qui raconte leur métastory.
Examinons les faits.
Des siècles durant, l’art a été défini par l’Eglise, par les Rois et les Reines. Leurs valeurs, leurs aspirations, leurs positionnements dans le monde ont été imposés au reste, le peuple. Ce, au gré d’oeuvres somptueuses donc convaincantes.
Aujourd’hui? Aujourd’hui, tout le monde s’accorde et perçoit musées et galeries pour ce qu’ils sont — les lieux où lire et comprendre l’histoire de l’être humain, dans le but d’en extraire un meilleur-soi. Une sorte de toile de fond détaillant des aspirations, des positionnements, des valeurs vénérables… Après curation!
D’où le cataclysme. Puisque nous sommes des followers programmés de l’art…On surfe dangereusement avec l’idée d’universalisme lorsque dans ces mêmes musées et galeries, les artistes invités à exposer leur vision sont principalement des hommes. D’Europe et d’Amérique du Nord.
Statement N°2: "We say that art should look like the rest of our culture. Unless all the voices of our culture are in the history of art, it's not really history of art. It's a history of power. "
Nul besoin d’attaquer de front — les Guerrila Girls dirigent leur verve vers un humour décapant.
Dans les haut-lieux de la vie artistique, le graphisme loufoque et franchement frais de leurs affiches se double de faits bien fondés. Et de données statistiques bien grinçantes.
Downtown Manhattan, SoHo, East Village.
Impossible de résister à cette nouvelle vision féministe.
Elles pointent du doigt. Le monde écoute. Les gens discutent. Les avis changent.
Statement N°3: "Art herstory not history."
On le voit bien: tout artiste attend d’être récupéré. Mais au tournant des années 90, récupération ne rime pas forcément avec annihilation. L’activisme-artistique des Guerrila Girls ne tarde à entrer en résonance avec l’époque. Forcément, les institutions veulent leur part de neo-revendication. Graduellement. Le MoMa d’abord. Le Tate Modern ensuite. Que faire alors quand le système que l’on combat vous supplie de l’embrasser à pleine bouche?
Statement N°4: “Well… you take your critique right inside the joint. We dissed MoMA at its own symposium on feminism. We criticized the Tate Modern and the Istanbul Modern…. The response? After we made fun of the National Gallery of Art, they vowed to change their ways. Ditto the Tate Modern and MoMA.“
Si les Guerrila Girls ont apporté leur contribution au problème incessant de la sous représentation des femmes et des minorités, l’affaire est loin d’être bouclée.
L’évènement MeToo a remis la discrimination au coeur des discussions.
Certes.
Mais à voir les références culturelles féminines actuelles, on se dit qu’on est clairement dans la merde.
Beyoncé. Les Kardashian. Nicky Minaj. Cardi B. Emily Ratajkowski. Et toutes celles ravies de leur emboîter le pas.
A voir ces néo-féminismes prôner et distiller les codes du sexy, du féminin, du beau et de la sexualité comme définis par la vision phallique… A les voir tirer leur like, leur fame, leur carrière, leur denier à coup de poses lascives, d’entertainment-en-culotte et de spectacles toujours plus vulgaires…
Si une femme doit être à poil pour qu’on l’écoute… On se dit qu’on est loin, très loin de voir triompher la vision d’une femme maître du monde par la force de sa seule réthorique.
Data, Art and Sisterhood Baby!