« Même un enfant pourrait faire mieux » — et il y a péril en la demeure. A en croire la critique, le public et certains artistes, l’art se dévoie. Depuis des années déjà. C’est que le ‘Nouvel Esprit du capitalisme’ l’a essoré jusqu’à en faire un art comptant pour rien.
Dépolitisé par la CIA (Stonor Saunders, 1999). Transformé en manne financière. Enveloppé dans un package marketing.
L’art contemporain est vain. L’art contemporain ne dit rien. Et surtout, l’art contemporain ne sert à rien. Le délire.
Car un art vidé de représentation n’est pas pour autant un art vide de toute contestation.
L’art, comme exécuté depuis les années 60, s’ancre dans les expérimentations plus ou moins toquées des siècles derniers. A travers ses attaques virulentes contre la rationalité, l’art contemporain cherche une chose — brouiller les règles pour en abolir le respect.
« L’art est dans l’intention plutôt que dans l’exécution. »
Ce faisant, l’art contemporain est tout sauf un mouvement littéral. Encore moins homogène.
Des artistes, il en existe par million. Des mouvements, par milliers.
Les outils? L’artiste les conçoit surtout dans des objets moins précieux et plus symboliques.
Des siècles durant, l’art a réalisé des icônes pour l’Eglise, avant de s’évertuer à muer mécènes, bourgeois et petit Caporal en icônes. Au nom du collectif.
Mais voilà que des sales gosses parviennent à l’extraire de la splendeur de l’histoire. Et elle pèse son poids!
Si désormais tout est permis, une chose perdure toutefois. Il faut avoir quelque chose à dire, ou mieux, à faire dire.
Car dans une société saturée de divertissement, où le gavage publicitaire pique volontiers ses répliques à l’art, quel rôle lui reste-t-il?
L’obsession évidente du public pour le banal, le sexe et le morbide fait les choux gras des mammouths médiatiques.
Les télé-réalités, télé-crochets et autres navets n’ont jamais paru si aspirationnels qu’aujourd’hui. Preuve en est: la ribouldingue de fesses, poitrines et autres machins dénudés fait désormais les choux gras des prêtresses de l’insipide.
Reste que l’art, lui, demeure le lieu d’expression des valeurs de la société. Que peuvent alors les artistes contemporains sinon jouer des codes du chic et du choc pour la charmer?
Art exagéré de circonstances, certaines oeuvres rendent ainsi le public si furieux qu’on le croirait dégénéré. Exemple de controverse: à peu près toutes les oeuvres qui n’entrent pas dans les ordres, mais s’échangent à prix fou!
Et si public et critique admettaient enfin que ce grand flou nommé ‘Art Contemporain’ ne correspond simplement en rien à leurs attentes. Réalisme. Raison. Règlement.
Attention! Concept: l’artiste contemporain est plus intéressé de les réconcilier avec leur fantaisie. Ou plutôt, leur imagination. Alogique. Affranchie. Accessible.
Car, quand la critique et le public se demandent ironiquement s’il s’agit d’art, l’artiste répond sans complexe — Non, ce n’est pas de l’art.
“Décadent”. “Culture du vide”. Voilà deux buzzwords absolus du Café du Commercedès qu’on en vient à parlerart contemporain.
Pour le point philo, on résumera en écrivant que derrière la débauche d’absurdité de certaines oeuvres, se profilent surtout des idées visionnaires.
En 1905 par exemple. La France vote la loi de séparation entre Eglise et Etat. Certes. Un petit malin du nom d’Alphonse Allais propose, lui, de remplacer les fortifications de Paris par une grande plage — son projet complètement absurde se nomme ‘Paris Plage’. Soyons sérieux!
D’ailleurs, à l’époque, Alphonse Allais a déjà pas mal chahuté le monde de l’art. En 1882, au salon des Arts Incohérents, son ami Paul Bilhaud lui inspire de drôles de monochrome.
Il est aussi derrière la première oeuvre minimaliste. Une ‘Marche funèbre composée pour les funérailles d’un grand homme sourd’ — la page reste vierge. Parce que, dit-il, « les grandes douleurs sont muettes. »
La vision est tellement extrême qu’elle tient du génie! Car derrière cette absurdité se cache la puissance du “N’importe Quoi’”.
Derrière les ‘gribouillages’ de Jackson Pollock il y a l’application des théories de Freud et Carl Jung. Oui, je répète: des théories psychanalytiques.
L’Expressionnisme Abstrait rejette les sujets prescrits, le réalisme social, et le précisionnisme! Ce N’importe Quoi tente d’atteindre l’inconscient à travers un processus de création où s’endorment conscience et raison de l’artiste.
Le minimalisme? A défaut de figurer la “Culture du vide”, il se défend contre celle de la sur-consommation. Exprimer beaucoup avec bien peu.
1961. Lorsque Piero Manzoni coule ses ‘Merda d’Artista’ dans des boîtes dont il interdit l’ouverture sous peine de détruire la valeur de l’oeuvre, ce ’n’importe quoi’ s’érige contre le principe même de la propriété. Un geste élégant par lequel il replace aussi l’artiste à hauteur d’homme.
Le prix des 90 boîtes fut indexé sur le cours de l’or. « 30 grammes d'excréments à celui de 30 grammes d'or au cours du jour »
C’est bien la toile de fond de l’art contemporain: prouver par l’expérience les démences d’une société donnée. En plus de lui offrir des allégories à la hauteur de sa réalité.
(Salut à Vous Toilettes en Or de Maurizio Cattelan. Salut à Toi, Requin de Damien Hirst. Salut à Toi Ballon Dog de Jeff Koons)
Crédits images: “Comedian“, Maurizio Cattelan, 2019
“The Angel of the City“, Marino Marini, 1948
“Mierda de artista“, Piero Manzoni, 1961